CEDH : condamnation civile de l'auteur d'un livre historique

CEDH : condamnation civile de l'auteur d'un livre historique

La condamnation civile de l’auteur d’un livre historique en raison d’expressions jugées diffamatoires par les juridictions italiennes n’a pas violé la Convention.

Un ressortissant italien, auteur d’un ouvrage publié en 2005 qui racontait, de son point de vue d’enfant à l’époque, l’épisode marquant de l’exécution de 43 prisonniers de la République sociale italienne (RSI), faits survenus peu avant la chute des fascistes italiens du Centre et du Nord entre 1943 et 1945. Le but de la narration était de superposer récit historique et perception intime et personnelle. En ce sens, quelques pages étaient consacrées au récit de querelles ayant eu lieu entre sa famille, antifasciste, et la famille M., adhérente au régime de l’époque. Les héritiers de cette dernière ont considéré ces propos diffamatoires et ont porté plainte.

Si le premier tribunal interne acquitta le requérant, la cour d’appel le condamna à des dommages et intérêts, estimant que deux expressions employées au sein de cet ouvrage revêtaient un tel caractère diffamatoire. Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut rejeté.

Invoquant les articles 6§2 (présomption d’innocence) et 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’Homme, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme en soutenant que sa condamnation au civil avait porté atteinte à son droit à la liberté d’expression, notamment à l’exercice de son droit de chronique et de critique historique.

Par un arrêt du 18 novembre 2021 (requête n° 27801/12), la CEDH ne relève pas de violation à la présomption d’innocence du requérant.

Concernant l’article 10, la Cour relève que cette condamnation au civil – et donc l’ingérence à la liberté d’expression dans le droit du requérant – était prévue par la loi et était constitutive de garantie de la "protection de la réputation ou des droits d’autrui". Tout en tenant compte de la double nature du livre, la CEDH revient sur les deux passages litigieux : l’un désignant l’époux M. comme le "mari fantoche" et l’autre attribuant à l’épouse la responsabilité d’avoir inséré le nom du grand-père du requérant dans la liste des personnes à arrêter et fusiller.

Pour les juges européens, le premier passage n’est pas justifié par un intérêt public et touche "à la sphère privée" de l’époux M.
Mais, concernant le second passage, la CEDH estime qu’il ne s’agit pas là d’une simple spéculation mais d’un "fait déterminé, susceptible d’être étayé par des preuves pertinentes". Cette affirmation n’apporte, par ailleurs, aucun élément additionnel à la reconstitution des faits entourant l’épisode narré mais qu’il est, au contraire, disjoint des nouveaux éléments de nature historique. Elle relève que ces termes employés sont fortement négatifs et portent atteinte à la réputation du couple. Le requérant n’a pas apporté de faits permettant d’établir la véracité de ses allégations.

Enfin, la Cour européenne ne constate pas de disproportion quant au montant retenu pour lui attribuer des dommages et intérêts, compte tenu en particulier de la gravité du fait attribué à l’épouse M.
Elle conclut à la non-violation de ces articles.