CJUE : application temporelle d'actions en dommages et intérêts contre des infractions en droit de la concurrence

CJUE : application temporelle d'actions en dommages et intérêts contre des infractions en droit de la concurrence

Précisions, par la CJUE, du champ d’application temporel de dispositions relatives à la prescription des actions en dommages et intérêts en matière de droit de la concurrence, à la mesure du préjudice, ainsi qu’à la présomption réfragable relative à l’existence d’un préjudice résultant d’une entente.

La cour provinciale de León, en Espagne, a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’applicabilité des articles 10 et 17, paragraphes 1 et 2, de la directive 2014/104 du 26 novembre 2014.
Plus précisément, elle souhaite savoir si ces règles seraient applicables à un recours en dommages et intérêts portent sur une entente ayant pris fin avant l'entrée en vigueur de la directive, mais introduit après l’entrée en vigueur des dispositions la transposant dans le droit national.

En l'espèce, un recours a été introduit, le 1er avril 2018, devant le tribunal commercial de León, tendant à la réparation d’un préjudice du fait d’une entente, constatée par la Commission européenne.
Pour constater sa recevabilité, le tribunal s’est fondé sur le délai de prescription de cinq ans, prévu par la législation espagnole, transposant la directive du 26 novembre 2014.

La CJUE, dans un arrêt du 22 juin 2022 (affaire C-267/20), commence par rappeler le champ d’application temporel de la directive.
Celle-ci interdit l’application rétroactive d’une règlementation nationale, transposant les dispositions substantielles qu’elle prévoit et l’application des dispositions de la directive, aux actions en dommages et intérêts introduites avant le 26 décembre 2014.

En ce qui concerne l’applicabilité temporelle de l’article 10, la Cour note qu’il s’agit d’une disposition substantielle, dont l’application rétroactive est exclue.
Néanmoins, en l'espèce, la directive ayant été transposée dans l'ordre juridique espagnol cinq mois après l'expiration de son délai de transposition, la CJUE considère qu’il faut déterminer si la situation juridique en cause au principal était acquise avant l’expiration du délai de transposition de la directive ou si elle continuait à produire ses effets après expiration du délai.
Plus précisément, il faut se demander si le délai de prescription, applicable au principal, s’était écoulé, à la date d’expiration du délai de transposition de la directive.
La Cour ajoute que le délai de prescription ne peut pas commencer à courir avant que la personne lésée ait connaissance des éléments nécessaires à l’introduction de son recours, comme l’existence du préjudice ou l’identité de l’auteur de l’infraction.
Le communiqué de presse constatant l’entente, diffusé le 19 juillet 2016, n’a pas identifié avec la précision du résumé de la décision de la Commission, publié le 6 avril 2017, tous les éléments nécessaires. La CJUE juge donc que le délai de prescription de l’action du requérant doit commencer à courir à partir de la seconde date.
En l'espèce, le délai ne s’est pas écoulé pendant la période de transposition de la directive, ce qui signifie que le recours relève du champ d’application de l’article 10 de la directive.

Concernant l’applicabilité temporelle de l’article 17 paragraphe 1 de la directive, la Cour note que la disposition cherche à assouplir le niveau de preuve, exigé aux fins de détermination du montant du préjudice, résultant d’une infraction au droit de la concurrence.
Il s’agit d’une disposition procédurale de la directive, pour laquelle l’application des dispositions de transposition à des actions introduites avant le 26 décembre 2014 est exclue.
En l’espèce, l’action ayant été introduite le 1er avril 2018, elle relève du champ d’application de l’article 17 paragraphe 1.

Pour ce qui est de l’applicabilité temporelle de l’article 17 paragraphe 2, qui établit une présomption réfragable relative à l’existence du préjudice résultant d’une entente, il s’agit d’une règle de fond. Le droit espagnol en interdit la rétroactivité.
Ainsi, l’interdiction d’application rétroactive de la disposition et de la législation de transposition implique que celles-ci ne peuvent pas être applicables à un recours en dommages et intérêts qui, même s'il a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions transposant la directive dans le droit espagnol, porte sur une infraction ayant pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition.